Contenu de la lettre du 23 août de Monseigneur Saliège sur la personne humaine

Contexte historique

Jules Géraud Saliège (1870-1956) est nommé archevêque de Toulouse en 1929. Affecté d’une infirmité croissante apparue en 1931 et due à une  » paralysie du bulbe « , il fait preuve de ténacité et de grand courage.

Comme les autres prélats catholiques il se rallie d’abord sans difficulté au régime de Vichy. Il y voit une revanche contre  » l’éducation athée, la démocratie athée ». Le 13 juillet 1941, dans une lettre sur l’Union, il écrit :  » Le gouvernement légitime du pays est à Vichy et non ailleurs. Il a à sa tête un homme qui a fait don de sa personne à la France » . Mais  il ne désapprouve pas pour autant les initiatives individuelles des catholiques contestataires. Dans son entourage immédiat, il existe des personnes engagées dans des actions d’entraide et de solidarité, comme monseigneur de Courrèges d’Ustou, son évêque coadjuteur, ou monseigneur de Solages, le recteur de l’Institut catholique.

Le 8 août 1942, un convoi de Juifs étrangers, formé  » de malades, de vieillards et d’infirmes « , quitte à pied le camp du Récébédou, près de Toulouse, et gagne la gare voisine de Portet-Saint-Simon où l’attend un train de onze wagons.  » Des scènes lamentables ont lieu « , des tentatives de suicide, des crises de folie. Une catholique fervente, Thérèse Dauty, assistante sociale auprès des étrangers, décrit la situation dans un rapport qu’elle fait parvenir à monseigneur Saliège. Le 10 août, un deuxième convoi est formé qui donne lieu à de nouvelles manifestations tragiques. Témoins ou informés de ces faits, des représentants des Oeuvres rédigent un rapport confidentiel qui est également transmis à l’archevêque.

Le dimanche 23 août 1942, monseigneur Saliège fait lire dans la plupart des églises du diocèse une lettre de protestation, où il rappelle que  » les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille ». Rédigée en partie par l’entourage de monseigneur Saliège (en particulier par monseigneur de Courrèges, son évêque coadjuteur, et le chanoine Gèze, curé de Saint-Sernin et directeur des Oeuvres diocésaines ), cette lettre est lue le 30 août par les curés qui ne l’avaient pas fait auparavant. Elle a un grand retentissement dans l’opinion. Elle est reprise et diffusée par la radio de Londres et par la presse clandestine de la Résistance. C’est la première prise de position publique en faveur des Juifs. Elle dénonce des aspects jusque-là cachés ou ignorés de la politique de Vichy, ceux de l’exclusion et de l’antisémitisme d’Etat. Elle amorce un virage plus critique dans les positions d’une partie de l’Eglise, comme en témoigne également la lettre pastorale de monseigneur Théas, l’évêque de Montauban, qui est lue dans toutes les églises de son diocèse le 30 août 1942 :  » Les mesures antisémites actuelles sont un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille. « 

Contenu de la lettre du 23 août de Monseigneur Saliège sur la personne humaine
Mes très chers Frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien aimée France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Jules-Géraud Saliège
Archevêque de Toulouse
23 août 1942
A lire dimanche prochain, sans commentaire.